Entretien avec José Bové, nouveau membre de Non-Violence XXI

Extrait de la Lettre aux donateurs de juin 2019 (n°34)

On connait vos engagements sur la souveraineté alimentaire, votre combat anti-OGM et altermondialiste. On connait moins votre engagement non-violent. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Je suis arrivé à la non-violence par l’objection de conscience et l’action collective. J’ai commencé à militer dans l’après 68, époque à laquelle de nombreux militants avaient une vision «romantique» de la révolution et étaient très influencés par la figure du «Che». Pour ma part, j’en suis vite arrivé à la conclusion que l’on ne pouvait pas lutter contre les armes avec les mêmes moyens. C’est une stratégie perdante dans 99 % des cas. J’ai donc essayé de comprendre comment agir autrement et je suis allé à la rencontre de militants comme ceux de la Communauté de l’Arche ou du MDPL (Mouvement pour le Désarmement la Paix et la Liberté). Je suis ensuite entré dans un groupe de soutien aux objecteurs de conscience à Bordeaux puis dans un groupe de recherche et d’action non-violente. A travers ce réseau, j’ai pu prendre part à la lutte du Larzac. J’y ai rencontré des figures françaises de la non-violence comme Lanza del Vasto, Jean-Marie Muller ainsi que d’autres militants du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente). Parallèlement, j’ai lu des auteurs comme Gandhi et Luther King bien sûr mais aussi Lanza del Vasto ou Tolstoï. J’ai également eu la chance de rencontrer des penseurs comme Jacques Ellul ou Bernard Charbonneau dont la réflexion globale sur l’écologie m’a beaucoup influencé.

Le débat est vif actuellement entre ceux qui prônent la violence comme moyen de lutte, ou qui appellent à la diversité des tactiques, et les militants non-violents. Que diriez-vous à ceux qui s’interrogent aujourd’hui ?

Je ne crois pas à la diversité des tactiques. Le problème si on décide de mener une action violente «à côté» d’une action non-violente, c’est que l’on pervertit toute la stratégie non-violente. Même une part infime d’action violente dans une action non-violente de masse suffit pour que l’ensemble de l’action apparaisse comme violente. Le danger étant ensuite que la logique de la violence l’emporte dans les moyens d’action et au final dans la définition des objectifs. On peut peut-être renverser l’adversaire mais je ne crois pas que l’on puisse avoir une perspective de transformation sociale sur du long terme. C’est toute la question de la fin et des moyens. L’essentiel, c’est que chacun comprenne qu’il est de son intérêt d’adopter une méthode d’action non-violente. La lutte du Larzac en est un parfait exemple. Beaucoup de paysans engagés dans ce combat ne connaissaient pas la non-violence. Or, pour avoir une chance de gagner, tout le monde a vite compris que le meilleure option était la stratégie non-violente.

Et par rapport à l’urgence climatique? Dans les critiques faites à la non-violence revient souvent celle liée à la temporalité. Avons-nous vraiment le temps d’être non-violents ?

Je retourne la question. En quoi un processus violent ferait mieux et plus vite qu’un processus non-violent ?S’inscrire dans une logique violente ne garantit rien de ce point de vue. Et qui peut dire où s’arrêterait une telle escalade ? Bien sûr, le réchauffement climatique nécessite que l’on agisse vite et bien. Cela ne veut pas dire que nous devons faire n’importe quoi. Changer les choses demande un minimum de temps sauf à instaurer une dictature. L’enjeu n’est pas tant d’agir vite que de comprendre vite. Comprendre qu’il nous faut opérer un virage majeur. Pour cela, il faut encore travailler sur la prise de conscience collective du problème. Car nombreux sont ceux qui n’en ont pas encore pris la mesure. Il s’agit d’un problème global. Notre rôle de militants non-violents est
donc de le rendre plus concret en intensifiant les actions au niveau local. Mais cette lutte doit aussi être menée par
l’Union Européenne ce qu’elle pourrait faire par exemple en assumant une non-coopération économique internationale. Pour convaincre les États de suivre cette voie, la seule option est d’amplifier les actions de masse, comme celle organisée à la Défense en avril 2019, c’est-à-dire entrer dans une phase active de sensibilisation des citoyens. Ensuite seulement nous pourrons lancer une phase opérationnelle de lutte contre les multinationales.

José Bové présent à Dax pour soutenir le militant écologiste Jon Palais lors du procès des faucheurs de chaises en janvier 2017.

Pensez-vous que la non-violence soit un processus révolutionnaire ?

Tout dépend de ce que l’on entend par révolutionnaire. Pour ma part, j’ai plutôt tendance à parler de «transformation radicale». La non-violence comme moyen de lutte est à mon sens la seule force capable de transformer la société avec la participation du plus grand nombre, sans tomber dans le sempiternel écueil d’un pouvoir remis aux mains d’une avant-garde «éclairée». Je suis très admiratif des luttes menées par les mouvements amérindiens qui posent comme base le concept de «bien vivre», c’est-à-dire vivre en harmonie avec la nature et avec l’ensemble de l’humanité. C’est selon moi la définition même d’une révolution non-violente, or cet objectif me semble totalement inatteignable par des moyens de coercition ou de domination d’une majorité réduite.

Propos recueillis par Johann Naessens, coordinateur de Non-Violence XXI