Entretien avec Kaddour Hadadi dit HK, artiste engagé et non-violent

Depuis le 13 avril dernier, tu es officiellement une personnalité membre de Non-Violence XXI ? Quel est ton rapport à la non-violence ?

Je suis né, j’ai grandi à Roubaix dans les années 80-90, une ville touchée par une très grande précarité, par de la violence au quotidien. J’ai été marqué par cette violence. Je ne parle pas uniquement de violence physique. Je parle aussi de la violence d’un système qui rejette des gens et les place dans des conditions de vie très difficiles. J’ai vu tout ce que cela pouvait engendrer comme chaos et à quel point cela pouvait réduire les perspectives d’espoir. J’en suis arrivé au constat que le meilleur moyen de se construire et de s’extraire de ce contexte était de s’affranchir de cette violence. De se lancer dans des initiatives positives, de créer collectivement des conditions pour ne pas se laisser aspirer par cet environnement qui peut agir sur toi comme un aimant pour reprendre la chanson d’IAM. La non-violence m’est donc apparue logiquement comme le chemin que je voulais suivre et un état d’esprit à cultiver chaque jour.

Non-Violence XXI mène actuellement la campagne «Pourquoi la nonviolence est-elle révolutionnaire?». L’idée est de montrer en quoi l’action non-violente et la désobéissance civile sont de puissants vecteurs de changement. Qu’en penses-tu ?

J’en suis convaincu. Mais la question est : peut-on aujourd’hui dans les mouvements de contestation, ou qui défendent une alternative, créer un mouvement de masse qui puisse s’accorder sur le principe de non-violence ? C’est un immense défi mais c’est la condition pour que le changement ait lieu. Nous sommes nombreux à vouloir ce changement mais il y a une colère très forte et beaucoup pensent que la non-violence n’est pas la solution. Quand on y réfléchit bien, il n’est pas simple d’échapper au piège de la violence surtout lorsqu’il y a autant de souffrance. Je pense donc que nous devons éviter d’adopter une posture moraliste sur ces questions. Il ne suffit pas de dire «Ne soyez pas violents!». Il faut à mon avis essayer de comprendre pourquoi cette violence s’exprime si l’on veut réussir à porter le message non-violent. Rester à l’écoute, ouverts au dialogue. Et ne jamais oublier que c’est tout un système qui est générateur de violence. C’est lui qu’il nous faut changer. On ne doit surtout pas se tromper de cibles.

Justement le débat fait rage actuellement entre ceux qui défendent la violence comme moyen de lutte, ou qui prônent la complémentarité des tactiques et les militants non-violents. Que dirais-tu à ceux qui hésitent ?

Je suis convaincu que répondre à la violence par une autre violence, c’est déjà se perdre soi-même. Car on se bat contre les choses qui nous indignent mais on se bat aussi pour des valeurs. Je pense sincèrement que quand on cède à la violence, on a déjà perdu un combat. À mon niveau, j’essaie de faire tout ce qu’il est possible pour que nous n’arrivions jamais à ce moment où nous n’aurions plus aucune autre issue que la violence. Je donne des exemples d’alternatives non-violentes, d’initiatives, j’explique que l’on peut créer quelque chose de révolutionnaire. Parfois, dans l’Histoire, cela n’a plus été possible. Je regardais récemment le film L’Armée du crime de Robert Guédiguian qui retrace l’histoire du poète Missak Manouchian et des ouvriers immigrés rattachés durant l’Occupation aux Francs-tireurs partisans, une unité de résistance communiste. Dans ce contexte terrible, le film illustre à quel point ce fut une déchirure pour le poète de prendre les armes. Il aurait préféré ne jamais avoir à le faire. Mais c’était la guerre, la vraie. La situation en France aujourd’hui n’a évidemment rien de comparable mais nous sommes à un moment charnière. Si nous échouons à obtenir de grandes victoires par l’action non-violente, je crains que des lendemains plus sombres ne s’annoncent.

Tu es très lié à Alternatiba, Bizi, aux Désobéissants, des mouvements proches de Non-Violence XXI. Qu’est-ce qui t’a séduit dans leur démarche ?

J’aime cette idée de désobéissance civile et je suis convaincu que c’est un outil particulièrement pertinent. Lorsqu’on se rend compte à quel point le jeu est faussé, le fait de s’organiser et de ne plus accepter les règles me semble un choix juste. Je trouve par exemple le travail de Bizi au Pays basque admirable. Avec des actions très concrètes menées localement, et par leur constance, ils arrivent à produire de belles choses et à impulser de réelles dynamiques de changement. Je suis également proche d’organisations comme Greenpeace, Attac ou Amnesty. Pour moi, toutes ces organisations et leurs militants sont les lanceurs d’alerte de notre époque.

Un petit mot sur Le Coeur à l’outrage ?

C’est un livre que j’ai écrit autour des attentats du 13 novembre. On en a fait une pièce de théâtre musicale qui sera jouée à Paris (Café de la Danse) les 4 et 5 décembre. L’histoire d’Elsa et Mohamed, un jeune couple féru de poésie. Il s’agit d’une fiction inspirée d’histoires réelles en lien avec les événements, une résistance poétique face à la terreur et aux tentations de repli sur soi…