Entretien avec Yazid Kherfi, médiateur et directeur de Médiation nomade

Extrait de la Lettre aux donateurs d’octobre 2018 (n°33)

Comment est née l’idée de Médiation nomade ?
L’idée a émergé à partir de ma propre expérience. J’ai moi-même grandi dans un quartier sensible et c’est la nuit que j’ai commencé à fréquenter les mauvaises personnes et à glisser tout doucement vers la délinquance. D’après
moi, s’il y a bien un « espace » à occuper, c’est le soir, c’est-à-dire ce moment où les jeunes n’ont rien à faire et où ils s’ennuient car tout est fermé, ce moment où l’on fait de mauvaises rencontres aussi. L’idée est donc tout simplement d’amener dans cet espace des gens bienveillants, ouverts, avec qui il est possible de discuter, de ne pas être jugé.

Peux-tu nous décrire votre action en quelques mots ?
L’action consiste en une immersion temporaire dans le quartier. Nous arrivons avec notre camion et nous installons à un endroit stratégique, ni trop près des lieux fréquentés par les jeunes, pour ne pas les importuner, ni trop loin afin d’être visible. Il s’agit alors de créer une ambiance conviviale afin de les inciter à venir nous rencontrer. Une soirée type dure environ quatre heures, généralement de 20h à minuit. Notre objectif est surtout d’aider les acteurs locaux à recréer un lien, à les accompagner, pas de substituer à leur travail. Je précise
que depuis la création de Médiation nomade, j’ai animé plus de 260 soirées et que tout s’est toujours très bien passé.

Comment se construit une intervention localement ?
Ce sont les municipalités qui nous contactent. Avant d’intervenir, une réunion avec tous les partenaires est
organisée afin de discuter des problématiques locales, de la participation des acteurs, ou encore de la meilleure place où nous installer. En tant que consultant, je dispense également deux jours de formation aux différents acteurs engagés afin de leur donner des outils sur la prévention de la délinquance et sur « comment aller vers les autres ? ».

Comment faites-vous pour assurer un suivi après une action ?
Nous n’assurons pas de suivi à proprement parler. Car notre objectif est d’essaimer. Par conséquent, nous ne faisons qu’accompagner tout en encourageant toutes les initiatives. Récemment, des projets ont par exemple vu le jour à Mayotte ou à Lyon. Nous en sommes évidemment très fiers mais désormais ils ne nous appartiennent plus. Ils sont totalement gérés par des associations ou des acteurs locaux, comme le MAN qui travaille régulièrement avec nous.

Peux-tu nous donner quelques détails sur l’« Opération Nuits 93 » ?
L’ « Opération Nuits 93 », c’est une vingtaine de soirées programmées en Seine Saint-Denis, un département ayant une problématique bien spécifique. C’est la préfecture qui nous a directement contactés. Notre volonté, c’est qu’une fois cette opération achevée, un camion tourne régulièrement et qu’un travail de fond puisse être mis en place. A ce sujet, nous sommes d’ailleurs à la recherche d’une personne motivée, expérimentée et surtout bienveillante, afin d’animer les soirées dans les prochains mois. En attendant, nous avons prévu de tourner
dans cinq communes d’ici au mois de décembre : Saint-Denis, Aubervilliers, Stains, Sevran et Aulnay-sous-Bois.

Un petit mot pour nos donateurs qui souhaiteraient vous apporter leur soutien. Comment peuvent-ils agir ?
Nous avons surtout besoin de moyens humains. En fait, il y a deux possibilités si vous souhaitez nous soutenir. A l’instar du MAN à lyon et Mayotte, vous pouvez lancer une initiative locale et nous demander de vous accompagner. C’est le processus classique. Si vous préférez nous apporter un soutien ponctuel, sans vous engager, vous pouvez aussi nous rendre visite lorsque nous passons près de chez vous et venir vous asseoir et discuter avec les jeunes du quartier. Vous serez évidemment les bienvenus.

Pour conclure cet entretien, quelles sont selon toi les qualités premières d’un « guerrier non-violent » ?
J’ai volontairement associé ces deux notions. Nous vivons une période difficile où le langage guerrier est très présent. Moi je me bats pour la non-violence. A l’heure où certains mènent une guerre idéologique et font l’apologie de la violence, je propose une alternative sans la moindre ambiguïté. L’idée d’un guerrier de l’amour me plaît également beaucoup. Il s’agit de donner, s’ouvrir à l’autre. Il ne suffit pas de dire « je suis non-violent », il faut aussi adopter l’attitude qui va avec. Dans mon parcours, j’ai eu la chance que des gens me tendent
la main, qu’ils ne me jugent pas par rapport à mes actes. Il est essentiel de dissocier les actes de la personne. Car
on peut réaliser de mauvaises actions et être quelqu’un de bien. J’en suis la preuve. Et dans ces cas-là, c’est le regard des autres qui peut vous faire basculer du bon côté. C’est bien pour cette philosophie que je souhaite me battre aujourd’hui. Voilà précisément pourquoi j’aime me définir comme un guerrier non-violent . . .

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