Nous t’avons découvert grâce au podcast La Force de la non-violence. Dans cette interview, à l’évocation de ton rapport à la non-violence une phrase a retenu notre attention : « On a le choix même quand c’est difficile ». Tu peux développer ?
Je sais que c’est une phrase qui peut sembler dure et potentiellement difficile à recevoir. Mais je pense sincèrement que c’est quelque chose qu’il faut avoir en tête tout le temps. Cela permet de ne pas se laisser contraindre, jamais. Pour moi, quoiqu’on essaie de nous faire croire, on a le choix de céder ou non aux demandes et aux exigences du pouvoir. Nous pouvons rester maîtres de ce que nous souhaitons faire. Garder ça en tête aide à se sentir plus libre. Libre d’agir aussi. Le cas des objecteurs de conscience en est un parfait exemple. Notamment durant la guerre d’Algérie : les objecteurs s’exposaient à des atteintes physiques et mentales extrêmement graves. Mais ils restaient libres. Bien sûr, cela peut aller jusqu’à mettre sa vie en danger si besoin. L’idée, ce n’est pas de se sacrifier mais juste d’accepter de courir ce risque et surtout, de penser plus large que notre propre personne. Agir pour ce qui nous semble juste tout simplement. Dans ce cas de figure, malgré la contrainte physique, notre esprit reste libre.
Dans la brochure Pourquoi la non-violence est-elle révolutionnaire ? nous abordons la question de comment transformer sa colère en énergie positive et créatrice. En découvrant ton parcours, on apprend que tu as perdu ton grand frère, mort de maladie, quand tu avais 14 ans. Ce qui t’a évidemment mis très en colère. Aujourd’hui, à 28 ans, tu dégages beaucoup de sérénité. C’est quoi ta recette pour gérer cette colère ?
J’éprouve toujours de la colère. La question est comment l’exprimer ? Pour moi, la colère est saine mais elle peut être destructrice ou créatrice. Il faut donc réussir à la transformer. Cela suppose d’agir concrètement. Quand je me mets en action, je me sens plus aligné, cohérent et plus apaisé. Je ne veux pas trouver des fautifs ou faire tomber des têtes. Juste chercher les causes profondes afin d’agir dessus. Aller à la racine des choses. C’est ça être radical. La colère, c’est un peu un raccourci qui permet de pointer du doigt des problèmes de fond. La question à se poser, c’est ce qu’il y a derrière ? Nos émotions sont légitimes. Il faut juste trouver la bonne manière de les exprimer. Communiquer, nous relier, apprendre à nous écouter avec des oreilles de girafe pour reprendre l’image de Marshall Rosenberg. Une démarche parfois difficile mais qui aide à grandir.
Un mot qu’inspirent ta réflexion et ton parcours, c’est le mot cohérence. C’est quoi être cohérent pour toi ?
C’est un long processus. Cela requiert d’accepter d’avancer pas à pas. Découvrir quelque chose, essayer d’y tendre et faire un pas de plus ensuite. Très important selon moi : ne pas voir ce qui nous sépare de notre idéal mais ce qu’on réalise déjà au quotidien. La question de l’usage du smartphone est un bon exemple– Anton a fait le choix de ne pas en avoir – et plus largement la question des technologies. Vouloir être cohérent c’est chercher à éviter le déni lié à nos contradictions. Il peut y avoir une forte inertie par rapport à ce qui nous semble juste. Enfin, j’ajouterais que la recherche de cohérence passe par le changement individuel mais aussi par le collectif. Nous avons besoin de liens, d’une vie de groupes, d’espaces pour nous exprimer et pour faire évoluer notre vision et notre rapport au monde. Le fait de côtoyer des milieux militants, de pratiquer l’itinérance et de rencontrer des gens différents, m’a beaucoup aidé dans cette quête de cohérence.
Sur la question de tes inspirations non-violentes, qui sont les personnages ou mouvements qui t’ont transformé ?
Je n’ai pas grandi dans un milieu militant. J’ai cependant un instinct de révolte très ancré au fond de moi qui m’a naturellement poussé vers certaines lectures. Des lectures inspirantes. Je rêve juste de pouvoir vivre de manière pleine et joyeuse. Je ne comprends pas que nous nous infligions autant de souffrances juste par la manière dont nous décidons d’interagir avec les autres. Concernant mon engagement, je préfère subir une répression forte que ne rien faire. C’est un sentiment profondément ancré en moi. Par rapport aux enfants et aux jeunes générations, je ne peux pas faire autrement que de m’engager pleinement. Ce qui est plus difficile à assumer finalement, c’est le niveau de souffrance que l’on peut éventuellement causer à ses proches. Pendant longtemps, je vivais seul et je n’avais pas ce souci. J’en ai profité pour voyager, à pied surtout, rencontrer de nouvelles personnes. Cela m’a permis de me rendre compte de l’importance d’avoir des gens qui nous aiment autour de nous. C’est un choix différent de celui des bouddhistes qui invitent à se détacher des personnes proches pour se consacrer à la voie de l’Eveil. Mais évidemment ce choix pose de nouvelles questions. Mon enfant n’a rien demandé. Il faut que je trouve l’équilibre. Peut-être que mon rapport à la prise de risque n’est pas le même. Ceci dit, au vu de la trajectoire autoritaire des Etats, je considère que cet engagement est déterminant. Car si nous laissons faire, quel avenir préparons-nous pour nos enfants ?
Concernant les personnes qui m’ont inspiré, j’ai lu et relu les grandes figures de la non-violence bien sûr. J’ai pioché dans plusieurs philosophies. J’ai évoqué le bouddhisme. L’essence du christianisme est également très inspirante pour moi. Finalement, le message reste le même. Il s’agit d’amour et d’entrer en résistance. L’anarchisme est aussi une source d’inspiration : la manière de s’organiser, la déconstruction des rapports de domination, le principe d’autogestion. La société doit parvenir à se libérer de ces choses-là. Construire une société qui pose clairement la question de la violence. Comprendre les mécanismes toxiques qui sous-tendent notre organisation actuelle. Il est fondamental de déconstruire tous ces processus souvent insidieux. Y compris au sein de nos organisations où nous devons apprendre à composer avec les travers de chacune et de chacun. C’est la condition pour poser les jalons d’une autre société et commencer à construire collectivement un nouveau projet qui fasse sens pour la plupart d’entre nous.
Extinction Rebellion est arrivé un peu comme un OVNI en 2018 et a pris tout de suite une place très importante en France. Le mouvement a désormais une énorme visibilité. Comment expliquer ce phénomène ?
Les raisons sont à mon avis multifactorielles. Avant de rejoindre XR, j’avais fait quelques actions avec ANV-COP21 et les Désobéissants mais je sentais qu’il me manquait quelque chose. Lorsque XR arrive (déclaration officielle de rébellion le 31 octobre octobre 2018 devant le palais de Westminster à Londres), j’ai eu le sentiment que pour la première fois un mouvement ne craignait pas de dire la vérité sur l’état du monde, à savoir que nous sommes en train de vivre la 6ème extinction de masse. Le diagnostic, aussi terrible soit-il, a été posé d’emblée. J’ai été séduit par ça. J’ai également eu l’impression de trouver un savant dosage entre horizontalité et autorité distribuée. Beaucoup d’efficacité aussi. Il y a cette question centrale à XR de redonner du pouvoir d’agir. C’est un mouvement qui s’inscrit totalement dans une forme d’éducation populaire. Le pouvoir me semble plutôt bien partagé, l’intelligence collective valorisée. On ne veut pas de leaders éclairés ou être dans une forme de contrôle des choses. Cela implique beaucoup de tolérance, de faire confiance aux autres, de lâcher prise aussi. Pour nos actions, nous recrutons des volontaires via la cooptation par cercles de confiance. Cela permet parfois de réduire l’opacité liée à la confidentialité de nos actions, hélas inévitable dans la phase de préparation. Il faut néanmoins reconnaître que c’est plus difficile à mettre en œuvre. Nous essayons constamment de trouver l’équilibre entre volonté de transparence, idée que chaque personne s’investissant dans l’action doive se sentir considérée et accueillie au sein du mouvement, et rétention d’informations obligatoire en vue de garantir le succès de l’opération. J’avoue que cet équilibre n’est pas simple à trouver mais notre volonté d’y parvenir est réelle.
Ton point de vue sur la question de la complémentarité des tactiques et du débat violence / non-violence ?
C’est une question complexe et ces débats existent depuis toujours. Il n’y a pas de solution parfaite. Que savons-nous des difficultés des populations véritablement opprimées. C’est forcément un sujet sensible car souvent la violence subie est telle qu’il parait légitime d’y répondre. Il faut vraiment aborder cette question avec calme. La question est : dans quel cadre souhaitons-nous évoluer ensemble ? Toujours cette idée de créer du lien.
Souvent, ces débats s’invitent sur le terrain dans des moments de tension déjà forts. Il faut avoir ces débats dans des espaces sécurisants, et bienveillants. Nous menons actuellement une campagne avec Extinction Rebellion intitulée Démocratie sans filtre. L’objectif est de transformer les institutions et le cadre posé. Rouvrir des espaces de démocratie populaire. Voir ce qui existe, mutualiser et faire émerger toutes les stratégies d’actions possibles. Créer des moyens de se redonner du pouvoir grâce à de nouveaux espaces d’éducation populaire. Bref, faire vivre pleinement la démocratie.
Une conclusion pour nos donateurs ?
Vu la situation, il faut continuer à donner à des projets qui font sens. Et ne plus hésiter à transformer un capital financier en capital social et culturel. Investir son argent dans des projets sociaux et environnementaux à la hauteur des enjeux colossaux qui sont face à nous est à mon sens un acte fort aujourd’hui…